Histoire Des Libertines (3) : Cléopâtre, L’Hypersexuelle Ou Le Corps Mis Au Service D’Une Ambition.

Avec Cléopâtre, nous abordons la première reine de notre série et une des plus célèbres de ces grandes libertines ou « grandes salopes »
SES DEBUTS
Cléopâtre VII Philopator, née vers 69 av. J.-C., morte le 12 août 30 av. J.-C., est une reine d'Égypte antique de la dynastie des Ptolémées, d'origine macédonienne. Elle règne sur l’Égypte entre 51 et 30 avec ses frères et époux Ptolémée XIII et Ptolémée XIV, puis au côté du général romain Marc Antoine. Elle est célèbre pour ses relations avec Jules César et Marc Antoine avec lesquels elle a eu plusieurs s. Prenant part à la guerre civile entre ce dernier et Octave, elle est vaincue à la bataille d'Actium en 31. La conquête de l’Égypte par les Romains marque la fin de l'époque hellénistique et de l’indépendance de l’Egypte.
Cléopâtre est un personnage dont la légende s'est emparée, de son vivant même. Sa mort tragique n'a fait que renforcer la tendance au romanesque qui entoure le personnage.
Cléopâtre est née au cours de l'hiver 69-68 av. J.-C.6 probablement à Alexandrie. Elle appartient à la dynastie des Lagides d'origine macédonienne qui règne sur l'Égypte depuis la fin du ive siècle av. J.-C. Cette dynastie a été fondée par Ptolémée Ier, l'un des généraux d'Alexandre le Grand qui s'empare de l'Égypte à la mort du Conquérant.
Cléopâtre est l'une des trois filles (connues) du roi Ptolémée XII Aulète, et peut-être d'une concubine, d’origine égyptienne, puisque Strabon affirme que Ptolémée XII n'eut qu'une seule « légitime », Bérénice IV, qui a régné de 58 à 55. Il est dès lors envisageable que son père, qui se serait engagé dans la polygamie pharaonique, ait eu une deuxième épouse égyptienne, peut-être issue de la classe sacerdotale de Memphis, expliquant que certains auteurs romains la surnomme de manière injurieuse l’« Égyptienne ». Cléopâtre entretient d'ailleurs elle-même le mystère sur ses origines maternelles, laissant planer le doute sur une possible ascendance égyptienne, sachant en outre qu'elle parle égyptien contrairement à ses prédécesseurs.


Le testament du roi Ptolémée XII, mort en mars 51 av. J.-C., désigne comme successeurs Cléopâtre et un frère cadet de celle-ci, Ptolémée XIII, d'une dizaine d'années environ, à qui elle est nominalement mariée car selon la coutume ptolémaïque, elle ne peut régner seule.
À l'automne 49 av. J.-C. les relations se dégradent totalement entre les deux souverains. Alors que le jeune roi vient d'atteindre sa majorité, ses ministres accusent la reine de complot contre son frère et provoquent un soulèvement des Alexandrins, si bien que Cléopâtre doit fuir.
C’est Jules César, arrivé à Alexandrie dans le cadre de la poursuite de son adversaire Pompée, qui va la rétablir sur le trône d’Egypte, à l’issue d’une guerre difficile, au cours de laquelle Ptolémée XIII meurt dans sa fuite, noyé dans le Nil. C'est à ce moment que se déroule l'épisode du tapis dans lequel la reine se serait fait enrouler afin de parvenir auprès de César.
LA RENCONTRE AVEC CESAR
La nuit tombe. Une de ces nuits d'Alexandrie qui ne sont ni africaines ni asiatiques; plus intenses qu'à Rome peut-être, quand le vent du Midi a été vif, mais assez semblables à celles d'Athènes. La voix de César résonne, surprise.
• Un cadeau ? A cette heure-ci? Je me méfie des cadeaux dans ce pays. Renseignez-vous.
Une minute se passe puis l'officier revient auprès de César.
L'homme qui porte le cadeau s'appelle Apollodore. Il parle latin. C'est un serviteur de la reine Cléopâtre. Il est arrivé au palais en barque, portant sur son épaule un bagage qu'il dit destiné à l'un de vos gardes. On l'a laissé passer. Parvenu au bout de la galerie, il a demandé le centurion de garde et lui a annoncé qu'il n'était pas le portefaix qu'on croyait mais le messager de la reine Cléopâtre et qu'il désirait vous entretenir pour vous remettre le cadeau de la reine qu'il continue de porter sur l'épaule.
• Et qui ressemble à quoi?
• C'est une natte de couchage, un tapis en quelque sorte, qui est roulé, ficelé, assez mince et.
..
• C'est bon. Faites-le entrer.
César va se rasseoir. Il se remet à écrire, lève la tête quand le grand gaillard qu'est Apollodore parait escorté de l'officier, suivi par cieux gardes, une natte multicolore sur l'épaule.
• Où est la reine?
Apollodore, quoique Sicilien, a ce geste oriental qui n'est pas tout à fait l'expression du doute, pas tout à fait celle de la connivence, ni celle de l'ironie et qu'on att si vite au Levant. Il ne répond pas autrement.
• Alors, le message, ordonne César.
Apollodore sourit. En guise de réponse, ayant déposé la natte sur les dalles avec un soin méticuleux, il se prosterne.
S'étant relevé, Apollodore déclare :
• Que la permission d'ouvrir cette natte me soit donnée. Ce qu'elle contient est une réponse à toutes les questions de César.
La permission accordée, il ne bouge pas, toujours souriant. Au bout d'un instant, il précise :
• La majesté du contenu de cette natte ne me permet d'agir que devant le seul César.
A ces mots, la crainte de l'attentat fait faire à l'officier un pas en avant. Mais César :
• Sortez. Que les gardes sortent avec vous.
Pendant qu'ils s'éloignent, Apollodore se penche et dénoue les liens. C'est au tour de César d'être impassible. A peine regarde-t-il brièvement son épée posée devant lui. Il est l'homme de la prudence autant que l'homme de la témérité. Il a failli pousser un cri. Malgré son flegme, il s'est levé. Le visage sans expression, il contemple, en travers de la natte maintenant étalée, une jeune fille.
Elle est vêtue à la grecque. Sa robe de voile mauve est serrée sous les seins par une cordelière d'or, fendue jusqu'à la cuisse, découvrant sur un fin mollet, d'une peau tendre, rosée, la spirale, d'or aussi, du cordon qui tient la sandale étincelante. D'un jet, sans l'aide de ses mains, elle s'est soulevée et assise. Le coup de reins souple qu'elle a donné a fait jouer les longs muscles du petit corps que le voile enveloppe plus qu'il ne le vêt.

Le visage s'est tourné vers Apollodore. Il est prosterné, le front rivé aux dalles. Du bout des doigts, elle lui touche l'épaule. Elle ne la touche pas tout à fait, remue plutôt l'air pour alerter le colosse qui se relève et, comprenant dans l'instant le regard autoritaire et gentil, reconnaissant peut-être qu'elle lui jette, s'incline et se dirige vers la porte. En l'ouvrant il se heurte à l'officier et aux gardes que l'inquiétude a maintenus contre le battant. A tout hasard, ils avancent, saisissent Apollodore par les bras et entrent, avides de s'assurer que César est vivant.
• Sortez I dit-elle.
L'officier interroge César du regard. César ne bronche pas. S'il a mis quelques secondes à admettre que ce petit corps, menu, potelé était celui de Cléopâtre, reine d'Égypte, et reine rebelle, il ne doute plus depuis qu'il a été témoin de la servile obéissance d'Apollodore.
MAITRESSE DE CESAR : LA « REGINA MERETRIX »
La légende veut qu’ils aient été amants dès la première nuit de leur rencontre.
En vérité, on ne sait guère qui séduisit qui, ni combien de temps il fallut à César et Cléopâtre pour tomber dans les bras l’un de l’autre. L’un comme l’autre jouaient gros. César avait la réputation d’être un homme à femmes et il semble évident qu’il ne résista pas bien longtemps à cette jeune fille, encore inexpérimentée mais fort séduisante. César, qui songeait à annexer l’Egypte, y renonce et commence une romance avec la reine de trente ans sa cadette. L’historien Suétone affirme à ce propos que Cléopâtre est la plus grande passion de César. Les deux amants font alors un fameux voyage « voluptueux » sur le Nil jusqu'aux confins de la Nubie.
Après la guerre d’Alexandrie, Cléopâtre épouse alors un autre de ses frères cadets, Ptolémée XIV, sur l'injonction de Jules César. Cependant elle est la seule à détenir réellement le pouvoir. Sa liaison avec César n'est un mystère pour personne. Ce dernier cependant doit bientôt quitter Alexandrie pour combattre le roi du Pont, Pharnace II, puis les derniers partisans de Pompée en Afrique.
De retour à Rome, il y convoque les souverains lagides en 46 av. J.-C.
Les motifs de cette convocation sont imprécis. César, lui-même marié, souhaite-t-il retrouver sa maîtresse, qu'il loge dans sa propriété de la rive droite du Tibre ? Veut-il l’impressionner par l'éclat des quatre triomphes qu'il célèbre durant l'été 46 ? A-t-il comme objectif de montrer ce qu'il en coûte de se révolter contre Rome en faisant figurer dans son triomphe la sœur de Cléopâtre, Arsinoé, qui s'est fait reconnaître reine par les troupes de Ptolémée XIII?
Ce séjour de deux ans à Rome reste méconnu. En fait, il y a deux séjours de Cléopâtre à Rome : un premier dans la villa du Trastevere de César, puis, après un bref retour en Égypte, un second, probablement dans les anciens jardins appartenant à son amie Claudia, la femme de Catulle. Le seul geste officiel de César en sa faveur est de faire placer une statue dorée de la reine dans le sanctuaire de Vénus Genetrix, ancêtre mythique de la gens Iulia dont il est issu. Il est cependant attesté qu'elle a rencontré de nombreux hommes politiques romains.
Aux yeux de la morale romaine, Cléopâtre reste la prostituée de César. Même si elle est reine ou déesse en sa demeure, elle incarne une conquête romaine ou une esclave qui ne doit pas offrir de descendance à César. Pline la surnommera même la « regina meretrix », la «reine putain». De nombreuses lampes à huile sont illustrées de scènes la caricaturant. On la voit ainsi s’accoupler avec un crocodile en tenant une palme de victoire
Assassiné lors des ides de Mars, César, dans son testament, ne fait aucune allusion à Césarion, le fils né de Cléopâtre ; mais il fait d'Octave son héritier. Profitant de la situation confuse qui s'ensuit, Cléopâtre quitte alors Rome à la mi-avril 44. Elle règne désormais seule, au nom de son fils Ptolémée XV Césarion.
ANTOINE ET CLEOPATRE
Nous ignorons depuis quand Cléopâtre, âgée de 29 ans en 41 av. J.-C., et le général romain, qui a une quarantaine d'années, se connaissent. Marc Antoine est l'un des officiers qui a participé au rétablissement de Ptolémée XII, le père de Cléopâtre, en 55 ; mais il est peu probable qu'ils se soient fréquentés, Cléopâtre n'ayant à l'époque qu'une quinzaine d'années, même si Appien indique qu'Antoine a déjà remarqué la future reine. Il n'existe aucun témoignage certain sur cette possible rencontre. Il est plus vraisemblable qu'ils se soient fréquentés lors du séjour à Rome de Cléopâtre.
L'Orient est dévolu à Antoine dans le cadre du Second triumvirat. Il reprend alors le projet de César avant sa mort, c'est-à-dire une grande expédition contre les Parthes. Pour cela il convoque les souverains des royaumes clients à Tarse, en Cilicie, y compris la reine d'Égypte.
Celle-ci connaît au moins un des défauts de l'officier, sa vanité et son amour du faste, aussi arrive-t-elle dans un navire à la poupe dorée et aux voiles pourpres, siégeant sous un dais d'or entourée d'un équipage déguisé en nymphes, Néréides et Amours. Puis elle invite Marc Antoine à son bord pour un somptueux banquet. Commence alors une liaison de dix ans, sans doute l'une des plus célèbres de l'Histoire.
Dans un premier temps, Marc Antoine suit Cléopâtre à Alexandrie, où il passe l'hiver 41/40 av. J.-C.
Antoine est obligé de rentrer à Rome (été 40 av. J.-C.) où s'affrontent ses partisans et ceux d'Octave. Il conclut avec ce dernier la paix de Brindes en octobre 40 av. J.-C. et épouse sa sœur, Octavie. Pendant ce temps à Alexandrie Cléopâtre accouche de jumeaux : un garçon Alexandre Hélios, et une fille Cléopâtre Séléné.
La séparation dure trois ans, du printemps 40 av. J.-C. à l'automne 37 av. J.-C. Au retour d'Antoine, les deux amants se retrouvent à Antioche à l'automne 37 av. J.-C
En 37-36 av. J.-C., Marc Antoine entame une campagne contre les Parthes qui tourne au désastre. Cléopâtre est restée à Alexandrie pour accoucher d'un troisième du couple, Ptolémée Philadelphe. Nous ignorons si c'est en 37, au retour de cette expédition, que Cléopâtre et Antoine se marient, ou en 34 lors du triomphe célébrée à Alexandrie. Ce mariage est considéré comme nul par le droit romain.
SCANDALE A ROME CONTRE ANTOINE, L’ADULTERE ET SA PUTAIN EGYPTIENNE
Octave envoie sa sœur Octavie, la femme légitime d'Antoine et la mère de ses deux filles, Antonia Major l'Aînée (la future grand-mère de Néron), et Antonia Minor la Jeune (future mère de Germanicus et de Claude) au début du printemps 35 rejoindre son mari. Antoine ordonne à sa femme, lorsque celle-ci parvient à Athènes, de rebrousser chemin. Octavie, sans montrer extérieurement le moindre signe de contrariété, ordonne aux troupes qui l'accompagnent, des renforts de son frère pour son époux, de poursuivre leur chemin vers Alexandrie.
Octave va s'employer à dénigrer Marc Antoine par tous les moyens et surtout Cléopâtre, l'Égyptienne, celle qui le tient sous ses charmes et qui l'oblige à des abandons qu'Octave estime désastreux pour Rome. La plupart de ces accusations sont de la propagande auprès de l'opinion publique romaine mais sont aussi pour beaucoup à l'origine de la «légende noire» de Cléopâtre chez nombre d'auteurs antiques comme Sénèque. Ainsi ce dernier écrit : « Cet Antoine qui était un grand homme, une belle intelligence, qui est-ce qui l'a perdu en le faisant passer sous l'empire de mœurs étrangères, de vices qu'ignorait le romain ? Son ivrognerie et son amour pour Cléopâtre qui égalait sa passion pour le vin ». Pline évoque Cléopâtre comme « une putain couronnée » dans l’Histoire naturelle.
On connait la suite : la défaite de la flotte d’Antoine et de Cléopâtre à Actium (31) et la fuite des deux amants vers l’Egypte, où ils se retrouvent assiégés dans Alexandrie par les légions d’Octave.
Vers août 30 av. J.-C. Octave arrive à Alexandrie. À la fausse annonce du suicide de Cléopâtre (colportée par une servante de la reine, peut-être sur instruction de celle-ci), Marc Antoine met fin à ses jours en se jetant sur son épée. Mourant, il est transporté par Cléopâtre dans son propre tombeau. Celle-ci est conduite devant Octave, qui la laisse se retirer avec ses servantes.
Avec ses deux plus fidèles servantes, Iras et Charmion, Cléopâtre se donne la mort, le 12 août 30 av. J.-C.49, en se faisant porter un panier de figues contenant un ou deux serpents venimeux. Cette version est la plus courante.
LA BEAUTE DE CLEOPATRE
Les légendes qui circulent autour de Cléopâtre décrivent une femme d’une grande beauté. Pourtant, peu de descriptions physiques de Cléopâtre sont parvenues jusqu’à nous. La plupart de ces descriptions sont faites par des historiens romains, comme Plutarque, qui écrivent pratiquement un siècle et demi après la mort de Cléopâtre. Celui-ci insiste moins sur la beauté de la reine que sur son charme et sa maîtrise des langues : « on dit que sa beauté en elle-même n’était pas incomparable ni propre à émerveiller ceux qui la voyaient, mais son commerce familier avait un attrait irrésistible, et l’aspect de sa personne, joint à sa conversation séduisante et à la Grâce naturelle répandue dans ses paroles, portait en soi une sorte d’aiguillon. Quand elle parlait, le son même de sa voix donnait du plaisir. Sa langue était comme un instrument à plusieurs cordes dont elle jouait aisément dans le dialecte qu’elle voulait, car il y avait très peu de barbares avec qui elle eût besoin d’interprète».
De fait, les témoignages de la beauté de Cléopâtre résident essentiellement en une pièce de monnaie, conservée au Cabinet des médailles à Paris. L’effigie de la reine sur la pièce de monnaie semble aller dans le sens d’une beauté quelconque : Cléopâtre arbore des traits peu fins et un nez proéminent. Cependant, si la beauté de Cléopâtre semble plutôt appartenir à la légende, son charme est quant à lui, bien réel. Par ailleurs, la maîtrise des langues et la grande intelligence de la reine lui ont permis de jouer un rôle central.
Il n’empêche que si elle n’avait pas été séduisante, on ne voit pas comment elle aurait pu séduire des hommes tels César ou Marc Antoine, qui collectionnaient les maîtresses.
Objet de désir et de mystères, la reine d’Egypte est source de nombreux fantasmes. Vibromasseur en papyrus rempli d’abeilles, croqueuse d’hommes, organisatrice d’orgies… cette figure historique porte en elle un caractère érotique difficilement dissociable. Derrière cette représentation machiste se cache pourtant une autre réalité de la plus célèbre femme de l’antiquité.
L’histoire étant écrite par les vainqueurs, les principaux témoignages historiques sont liés à sa défaite face à l’Empereur Auguste à Actium en 31 avant Jésus Christ. À cette époque, l’ennemi romain façonne une image dévergondée de la reine d’Égypte. Une façon de la décrédibiliser tant sur la plan politique que personnel. Les légionnaires d’Auguste utilisent ainsi des lampes à huile décorées d’un médaillon ou l’on voit la reine nue, sodomisée par un pénis de pierre ou de bois. Une propagande qui s’affiche encore dans quelques musées.
LA PREMIERE HYPERSEXUELLE CELEBRE
Au fil des siècles, la propagande devient fantasme.
On écrit à peu près tout et n’importe quoi sur la reine. Celle-ci serait une nymphomane capable de se faire pénétrer 100 fois par nuit§ Si l’on ne peut vérifier ces allégations, il reste probable que Cléopâtre a fait appel à des esclaves sexuels. Mais là où l’appétit sexuel d’Henri IV, ou d’Auguste, est admis voire plébiscité, il demeure source de critiques et de polémiques pour la reine.
INVENTRICE DU VIBROMASSEUR
A l’occasion de la sortie récente d’une bande dessinée à succès sur l’histoire de la sexualité, par Philippe Brenot et Laetitia Coryn (Les Arènes BD, 2016), l’information selon laquelle Cléopâtre aurait inventé, il y a un peu plus de 2000 ans, le premier vibromasseur a fait le tour du Web, témoignant de la fascination qu’exerce aujourd’hui encore l’ancienne reine d’Égypte.
On se représente immédiatement la scène, d’ailleurs fort bien dessinée dans le livre: la reine assise sur son lit écarte les jambes pour introduire au creux de ses cuisses une grosse enveloppe de papyrus bourrée d’abeilles bourdonnantes. On l’a compris: les abeilles remplacent l’électricité et le papyrus permet de faire couleur locale. Une bulle nous livre les pensées prêtées à la reine: «Et maintenant, faut pas que ça s’ouvre…». Amusante trouvaille. Un concentré d’humour, de sexe et d’exotisme. Bref, non le personnage historique, mais la vision traditionnelle de Cléopâtre en nymphomane égyptienne.
Cléopâtre fit-elle usage de sextoys comme le laissent entendre la caricature romaine et le dessin de Laetitia Coryn? Elle utilisa peut-être des godemichets dont on sait que l’invention remonte à la Préhistoire. À l’époque de la reine, des ateliers en fabriquaient à Alexandrie, capitale du royaume; les phallos de cuir étaient réputés pour leur souplesse; on pouvait en faire l’acquisition dans l’arrière-boutique de certains cordonniers.
Mais l’intérêt de ces jouets destinés à des femmes délaissées, comme l’écrit le poète antique Hérondas, n’était-il pas quelque peu limité pour Cléopâtre, dès lors qu’elle pouvait, à tout moment et à volonté, faire usage de ses serviteurs comme autant d’objets sexuels vivants? En éprouvait-elle d’ailleurs l’envie? Et de quoi pouvait-elle bien manquer en son luxueux palais, au cœur de sa cour fastueuse où elle menait l’existence d’une déesse vivante? Du sexe, des plaisirs et des richesses, elle en avait à profusion, comme tous ses prédécesseurs.
L’INSATIABLE
À l’origine de cette légende, on trouve une image insultante, diffusée par les ennemis romains de la reine, tous à la solde de l’empereur Auguste, le vainqueur de Cléopâtre à la bataille d’Actium. Ce sont eux (Horace, Virgile, Tite-Live…) qui ont écrit l’histoire officielle de Rome après la défaite et le suicide de la reine. À la même époque, les légionnaires d’Auguste s’éclairaient au moyen de lampes à huiles obscènes, décorées en leur centre d’un médaillon représentant une Cléopâtre nue, sodomisée par un phallus de pierre ou de bois.
Des caricatures de l’Ennemie, salie par une propagande calomnieuse, dont on peut encore voir quelques exemplaires dans nos musées. L’artiste romain n’avait, bien sûr, pas oublié la couleur locale: un crocodile du Nil sert de support à l’énorme godemichet tandis que la souveraine accroupie s’appuie sur une branche de palmier.
Plus tard, des poètes, des romanciers, et parfois même des historiens, ont relayé durant des siècles cette propagande du vainqueur, transformant la haine initiale envers la reine d’Égypte en un puissant fantasme. Conséquence involontaire du dénigrement : à force de dire du mal, les écrivains romains ont contribué à faire d’elle un mythe, si ce n’est le plus grand mythe féminin de l’Histoire. L’icône de la femme perverse et fatale.
Les auteurs qui se sont emparés du personnage de Cléopâtre n’ont cessé d’inventer de nouvelles anecdotes sur sa prétendue libido effrénée.
Dès l’Antiquité, la reine est décrite comme une femme impossible à satisfaire sexuellement, un puits sans fond. C’est pourquoi, écrit un auteur anonyme de la fin de l’Antiquité, «elle se prostituait souvent». Un romancier du XVIIe siècle raconte qu’il fallait la pénétrer plus de cent fois par nuit, sans quoi elle n’était pas satisfaite. Dépassé par cet appétit sexuel hors-norme, son amant Marc Antoine aurait contacté un célèbre médecin pour tenter de trouver une solution. En vain.
En réalité, les historiens savent bien peu de choses sur la sexualité de la Cléopâtre véritable. Elle eut, à n’en pas douter, et comme tous les souverains de son époque, des esclaves sexuels. Pourquoi d’ailleurs s’en serait-elle passée? La banalité pour un roi serait-elle considérée comme un péché dès lors qu’il s’agit d’une reine? Il est clair que Cléopâtre n’a jamais fait vœu de chasteté. À titre de comparaison, l’historien latin Suétone écrit que l’empereur Auguste aimait les très jeunes filles; or, le fondateur de l’Empire romain ne pâtit pas pour autant de l’image d’un pervers dans l’historiographie.
À une autre époque, la sexualité débridée d’Henri IV a même contribué à renforcer son image sympathique de «bon» roi. Non seulement l’Histoire est écrite par les vainqueurs, mais aussi par des hommes. Cléopâtre avait donc peu de chance d’être célébrée comme une grande dirigeante politique.
La dernière reine d’Égypte eut trois ou quatre amants connus: un fils de Pompée pour quelques nuits seulement, son serviteur Apollodore, Jules César durant quatre ans, puis Marc Antoine pendant une dizaine d’années. Pas vraiment de quoi faire d’elle une débauchée! Vers l’âge de 18 ou 19 ans, elle paraît très liée à l’un de ses gardes du corps, un Sicilien, plutôt athlétique, nommé Apollodore. C’est avec lui qu’elle a dû perdre sa virginité.
Par contre, il paraît douteux qu’elle ait consommé son mariage ueux avec son jeune frère, Ptolémée XIII, qu’elle épousa uniquement pour respecter la tradition pharaonique, alors qu’il n’avait que 13 ans. Son frère-époux la détestait et elle le méprisait; il essaya de la , mais c’est en fin de compte elle qui parvint à se débarrasser de lui.
Cléopâtre a tout fait pour sauver son trône et, au minimum la vie de son fils Césarion. Elle voulait aussi absolument éviter de figurer, couverte de chaînes et sous les insultes de la foule, dans le triomphe d’Octave à Rome, car elle avait assisté, 16 ans auparavant au triomphe de César et au triste sort de sa jeune sœur Arsinoé.
On a aussi accusé Cléopâtre d’avoir poussé Marc Antoine au suicide, par le biais de la fausse nouvelle du suicide de la reine, colportée auprès de l’imperator par une proche servante de la reine. Elle se serait aussi offerte à Octave, qui la repoussa avec mépris. A 39 ans, après quatre maternités, la reine n’avait sans doute plus le même pouvoir de séduction. De toute façon, Octave voulait impérativement se débarrasser de Césarion, qui constituait un danger potentiel et prendre Cléopâtre vivante, car elle devait être le clou de son Triomphe à Rome. Octave persuadé de la soumission de la reine, la laissa retourner à son mausolée. Le suicide était alors la seule porte de sortie de la dernière reine d’Egypte.
MON OPINION : UNE FEMME LIBRE, HYPERSEXUELLE ET QUI UTILISA SON CORPS POUR PARVENIR A SES FINS POLITIQUES
Cléopâtre s’employa à séduire les puissants romains de son époque. Ses rêves étaient avant tout politiques: renforcer son pouvoir, étendre son Empire sur de nouvelles provinces, s’unir à Jules César puis à Marc Antoine afin d’assurer la survie de son royaume. Les centres d’intérêt de la Cléopâtre historique ne sont pas ceux de la reine légendaire: c’était une femme de pouvoir, non une dévergondée.
L’image de Cléopâtre resta longtemps, reste encore pour quelques-uns, celle d’une femme manipulatrice, nymphomane, ensorceleuse, etc. « évoquer ses prouesses sexuelles est évidemment plus rassurant que de reconnaître ses capacités intellectuelles ». Et il faut bien avouer que c’est encore souvent le type d’arguments dont sont la cible certaines femmes bien dans leurs têtes, bien dans leurs corps et qui, en outre, ont l’outrecuidance de réussir leurs vies.
Le personnage de Cléopâtre est fascinant pour toutes ces raisons. Et je me retrouve en elle de par ses origines helléniques (plus précisément macédoniennes). Mais aussi parce que, accusée d’être une nymphomane, elle est tout simplement une femme hypersexuelle, libre de son corps, qu’elle avait aussi mis au service de ses objectifs politiques.

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